"C’est un mot qu’il utilisait lui-même avec tendresse, alors n’hésitons pas à l’affirmer : Bashung était un beau salopard. Une humiliation constante pour quiconque, dans ce pays, a encore le cran d’imposer une grammaire privée et complexe à cette langue mourante qu’est la chanson française. Un découragement carabiné pour ceux qui tenteraient de poursuivre l’audace musicale et lexicale de chansons aux cascades réglées au millimètre près. Car la désinvolture de façade est ici un art martial : cette simplicité d’apparence des mélodies, cette fausse facilité des mots enchevêtrés font de Bashung un trompe-l’œil et trompe-l’oreille incomparables – un genre de paresseux maniaque, de nonchalant anxieux. Bashung, l’un des derniers monstres sacrés de cette satanée “chanson française”, n’existe pas. Il faut dire qu’aux studios de télé-nombril, il a toujours préféré les vertiges solitaires de la création sans filet. Car même constamment entouré d’une garde rapprochée fidèle ou d’une armée de feux follets de passage, Bashung restait seul. Il ne signait pourtant seul ni textes ni musiques, démontant avec panache le mythe ganache de l’“auteur-compositeur”, suprême ici. Bashung était une matière première que les autres pétrissaient. Mais la cuisson, les désordres de teintes et de textures n’appartenaient qu’à lui : derrière ce colonel des zouaves, pas une tête ne dépassait, pas un ego ne se froissait, tous au service d’un projet insensé et pourtant jamais hautain. Car comme Björk ou Bowie, Bashung savait traduire dans sa propre langue, régulièrement populaire, les idées les plus hardies des avant-gardes".
Jean Daniel Beauvallet, Les Inrockuptibles, lundi 16 Mars 2009
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